INTRODUCTION:
L’eau
semble abondante à l’échelle de la planète, mais son inégale répartition est à
l’origine de situations de difficultés d’approvisionnement, voire de pénurie de
plus en plus fréquentes à travers le monde. On songe au Moyen-Orient, où la
question du partage des ressources en eau est un des chapitres majeurs des
négociations entre l’autorité palestinienne et le gouvernement israélien; mais
la gestion de l’eau est problématique aussi dans certaines régions de l’Inde,
de l’Asie du Sud-Est, des Etats-Unis et d’Europe. Certains analystes prédisent
que les tensions associées à ces pénuries déboucheront sur des conflits.
Si peu de conflits ont ouvertement débuté du fait de
disputes sur l’appropriation de réserves d’eau, la raréfaction de cette
ressource essentielle est à l’origine de nombreuses tensions entre voisins de
par le monde.
Dès 1985, les services de renseignements américains
estimaient que l’eau pouvait être le catalyseur d’un conflit armé dans au moins
10 endroits différents, essentiellement au Moyen-Orient, mais aussi en Afrique
et en Asie. Le problème de l’eau est désormais une affaire mondiale que les
nations unies se doivent de prendre en charge. Selon M. Wally N’Dow, secrétaire
général de la seconde Conférence des Nations Unies sur les Villes, tenue en
1996, l’eau « pourrait être un facteur de déclenchement de conflit, comme le
pétrole l’était dans le passé ».
La
population mondiale a plus que doublé de 1950 à 2000, passant de 2,5 à 6
milliards d’habitants, mais la consommation d’eau globale a quadruplé sur la
même période, pour s’élever à environ 761 m³ par an et par personne. La planète
bleue dont plus des 2/3 de la superficie est constituée de l ‘eau des
océans dispose aussi d’une quantité d’eau souterraine non renouvelable
dite « eau fossile » en plus des inestimables gisements de la calotte
glacière. Les eaux de surface ‘lac et rivière’ ainsi que celle des nappes
phréatiques peu profondes se renouvellent par les eaux de pluie et les neiges
selon un cycle climatique plus au moins régulier.
L’eau douce
est abondante : les quantités disponibles sur terre s’élèvent à 7685 m³ par an
et par personne. Pourtant, c’est à une multiplication des situations de crise
liées au manque d’eau que l’on assiste. La principale cause de cette évolution
réside dans la très inégale répartition des ressources en eau, inégale
répartition que viennent aggraver deux autres facteurs : la pression
démographique qui impose de mettre en valeur des terres de moins en moins
productives dans des régions qui demandent un apport en irrigation croissant,
d’une part , et l’accroissement rapide de la consommation par habitant dès lors
que s’élève le niveau de vie, d’autre part. Ce sont là aussi les principaux
facteurs de tension : tout d’abord, les différences notables de niveau de consommation
de l’eau sur un même bassin, différences issues de rapports de force ou de
niveaux de développement socio-économique, et ensuite, la nécessité, face à des
populations en rapide augmentation, de s’assurer d’un approvisionnement en eau
constant et garanti sur la longue durée, concourent à rendre âpres les
négociations sur le partage d’une ressource de plus en plus perçue comme
cruciale pour la sécurité de certains pays. Un marché mondial de l’eau
apportera - t-il des solutions aux crises actuelles et futures? Certains pays,
comme le Groenland, y voient un moyen de développer
l’économie locale. Pour autant, va-t-elle prendre une place équivalente à celle
qu’occupe le pétrole au siècle qui commence?
Certes, la ressource vitale de l’humanité est devenue un
bien économique et un enjeu stratégique de taille. Cependant, bien qu’elle soit
convoitée par les grandes multinationales à l’instar de l’or noir, il n’en
demeure pas moins qu’elle est aussi un bien de l’humanité qu’il s’agit de
préserver par un consensus régional, voire mondial impliquant le public, le
privé, les populations et les organisations non gouvernementales.
Pour s’en convaincre, l’étude portera sur
les enjeux de l’eau et les risques majeurs qui peuvent en résulter du fait de
la situation précaire actuelle, sur les timides débuts d’une commercialisation
de l’eau à l’échelle mondiale comme alternative de régulation et son impact sur
la société avant de se rendre à l’évidence et à la réalité d’un bien de
l’humanité qu’il s’agit de préserver et enfin, sur la nécessité d’un
consensus autour de l’eau et l’ensemble des mesures à même de prévenir
une situation de stress hydrique.
I - L'EAU:
UN ENJEU STRATÉGIQUE DE TAILLE:
L’eau est
une ressource naturelle indispensable et l’un des principaux facteurs de
développement ; son inégale répartition, la tendance à sa
raréfaction et la demande mondiale de plus en plus croissance sont les éléments
qui ont fait de cette ressource vitale un enjeu stratégique de taille.
11 -
Enjeu politico-économique important:
En
effet, environ 80 pays, représentant près de 40 % de la population mondiale,
font face à des pénuries d’eau chroniques. Les experts de la FAO évaluent à
2000 m³ d’eau par an et par personne le seuil au-delà duquel l’eau est
considérée comme abondante, et à 1000 m³ le seuil critique en deçà duquel
l’approvisionnement est remis en cause. Or, ce seuil de 1000 m³, une trentaine
de pays totalisant un peu plus de 300 millions d’habitants, ne l’atteindront
pas en l’an 2002. Une évolution inquiétante s’esquisse si l’on établit des
projections de consommation basées sur les taux d’accroissement
démographique actuels :
Aussi,
l’agriculture consomme près de 70 % de l’eau dans le monde, mais 90 % dans les
pays en voie de développement. Les climats arides ou semi-arides imposent le
recours à l’irrigation pour la plupart des cultures, mais la nécessité
d’accroître les rendements du fait de la pression démographique renforce
également l’attrait de cette technique. Or, dans la plupart des pays en voie de
développement, ce sont encore des techniques traditionnelles d’irrigation
gravitaire qui sont utilisées, et dont le taux d’efficacité, c’est à dire la
part qui est effectivement absorbée par les plantes, se situe à moins de 45 %.
Les techniques d’amélioration des rendements (goutte à goutte, canalisations
enterrées sous pression à micro-pores...) impliquent des investissements très
élevés que les agriculteurs ont rarement les moyens de financer. De fait, en
règle générale, plus le pays est pauvre et plus il consomme d’eau pour irriguer
; les pays du tiers-monde utilisent deux fois plus d’eau par hectare que les
pays industrialisés pour une production agricole trois fois inférieure, en
valeur.
Cette
prégnance de la nécessité agricole conduit parfois, lorsque les objectifs
politiques
s’y mêlent,
à des décisions qui menacent la pérennité du développement à moyen terme.
Ainsi, l’Arabie Saoudite pompe des eaux fossiles pour satisfaire plus de 75 %
de ses besoins en eau, et ce taux augmente rapidement du fait d’une politique
délibérée d’encouragement à la culture du blé dans le désert. Cette politique
agricole permit au royaume de devenir autosuffisant en 1984, puis de devenir
l’un des principaux exportateurs mondiaux. Mais, au rythme de pompage actuel,
et en supposant que 80 % des réserves d’eau puissent être exploitées, les
gisements seront taris dans 50 ans. Au rythme plus rapide actuel, le
tarissement interviendrait beaucoup plus tôt.
Cette
politique saoudienne souligne un autre point qui exacerbera, à moyen terme, les
tensions portant sur le partage de l’eau. Compte tenu de la vitesse
d’accroissement de la consommation en eau, de nombreux pays sont confrontés à
l’obligation d’exploiter des ressources non-renouvelables ou d’exploiter leurs
ressources à un rythme plus rapide que leur renouvellement.
Le problème
majeur des déficits en eau qui en résulte réside dans la surexploitation des
ressources et dans leur caractère cumulatif : ainsi, par exemple pour Israël,
la ressource même devrait être de 15 % inférieure au niveau actuel en 2015.
Les
tensions émanant de la rareté de l’eau sont avivées avec la disparité patente
dans les niveaux de consommation entre deux groupes. Ainsi, si le citoyen
américain consommait 560 litres par jour en 1997 pour ses besoins domestiques,
ce niveau s’établissait à 750 litres à El Paso (Texas), dont plus de 50 % pour
des usages de loisirs comme les piscines et les jardins ; de l’autre côté de la
frontière, à Ciudad Juarez, la consommation quotidienne ne s’élève qu’à 285
litres. De même, dans les Territoires occupés de Cisjordanie, un colon
israélien consomme 260 litres par jour contre 70 litres pour un Palestinien.
12 -
L'eau au cœur de nombreux litiges:
L’eau et le partage de l’eau apparaissent de plus en
plus tant comme des motifs de guerre que comme des enjeux politiques d’une
importance croissante, du fait de la mauvaise répartition de la ressource, mais
aussi de la nécessité de garantir un approvisionnement au moins constant, sinon
en augmentation, afin de garantir l’avenir de populations en expansion encore rapide.
Les ressources hydriques apparaissent donc comme un facteur de tension
international, mais aussi à l’intérieur des états.
12.1-
L'eau est une arme:
Matière indispensable et difficilement contrôlable,
les sources d’approvisionnement en eau ont toujours été la cible des
belligérants car non seulement un pays cherche à créer une situation de crise
interne chez son adversaire mais surtout, à étendre sa souveraineté
sur les ressources dont il pourrait dépendre et de garantir ainsi une certaine
autonomie.
En 1996, lors du raid israélien au Liban, les
objectifs de certains bombardements, visaient spécifiquement les canalisations
et les citernes d’eau, violant ainsi le protocole additionnel de 1977 à
la Convention de Genève. Dans le même cadre, au cours des escarmouches et des
guerres israélo-arabes, les canaux et les barrages ont souvent été la cible des
protagonistes.
Les plans de guerre de Singapour contre la Malaisie,
avec laquelle les relations sont toujours très difficiles malgré leur relation
officiellement pacifique depuis 30 ans au sein de l’ASEAN, prévoient la
pénétration du territoire malaysien sur 80 km, essentiellement pour se donner
de la profondeur stratégique, et garantir l’approvisionnement en eau.
L’approvisionnement de la petite république provient,
en effet, pour près de 50 % de la Malaisie, et les ressources actuelles
commencent à se révéler insuffisantes face à une demande croissante. Outre des
relations plus ou moins amicales avec Kuala Lumpur, ce qui préoccupe les autorités
de Singapour est essentiellement la rapide industrialisation et l’accroissement
du niveau de vie en Malaisie, qui impliquent une plus forte consommation, et
donc moins de ressources disponibles à livrer.
Pendant la guerre en Bosnie, la majeure partie des
ressources hydriques qui alimentaient Sarajevo assiégée se situaient en zone
serbe, dans les champs de puits de Bacevo. Selon leur humeur, les Serbes
coupaient l’électricité de la station de pompage, avec pour effet immédiat
l’arrêt de la distribution de l’eau.
12.2-
De sérieux contentieux entre états voisins:
Aujourd’hui, le conflit sur l’eau le plus criant est
celui concernant le partage des eaux du bassin du Jourdain. Dans cette région,
où la tension est très forte depuis la déclaration d’indépendance d’Israël en
1948, l’eau fait partie intégrante du conflit et était au cœur du processus de
négociation qui a abouti aux accords d’Oslo en 1993. Déjà en 1919, à l’issue de
la déclaration Balfour, le président de l’Organisation sioniste mondiale, Chaim
Weizmann, a adressé une lettre au Premier ministre britannique, David Lloyd
George, dans laquelle il affirme que « tout l’avenir économique de la Palestine
dépend de son approvisionnement en eau [...] Nous considérons qu’il est
essentiel que la frontière nord de la Palestine englobe la vallée du Litani sur
une distance de près de 25 miles, ainsi que les flancs ouest et sud du mont
Hermon. » Weizmann ajoutait : « En ce qui concerne la frontière nord,
l’objectif premier était d’ordre économique. En 1965, le Premier ministre
israélien, Levi Eshkol, avait déclaré qu’ « Israël pourrait être amené à se
battre pour son eau ». Encore en 1992, Shimon Peres déclarait qu’ « Israël
avait plus besoin d’eau que de terre ».
Lorsque Israël déclencha la guerre des Six Jours
de 1967, un des objectifs militaires prioritaires était d’assurer
l’approvisionnement en eau du pays : la Syrie avait entrepris de barrer deux
affluents du Jourdain sur les hauteurs du Golan. Les conquêtes israéliennes
changèrent complètement la situation hydraulique de la région : Israël avait
augmenté son accès au Jourdain et au Yarmouk, contrôlait les sources de
nombreux affluents du Jourdain, et avait pris le contrôle des nappes de
Cisjordanie. Aujourd’hui, près de 40 % de l’eau israélienne provient des deux
territoires, occupés pendant la guerre, le Golan et la Cisjordanie, dont un
tiers du seul Golan.
Les négociations de paix butent toujours sur le même
obstacle : la part de la Cisjordanie que le gouvernement israélien accepte de
ne plus contrôler, avec l’accès aux nappes phréatiques et aux cours d’eau que
cette autonomie territoriale suppose ; et le contrôle des nombreux affluents du
Jourdain qui prennent leur source sur les hauteurs du Golan. Dernier avatar de
cette prégnance de la question de l’eau dans les négociations : le projet que
le gouvernement israélien a finalisé au printemps 1998 prévoit l’annexion pure
et simple d’une bande de 20 km de profondeur, le long du Jourdain, ce qui
isolerait les hauteurs de la Cisjordanie de tout accès au fleuve. La question
de l’eau empoisonne les relations entre Palestiniens et Israéliens au quotidien
: les Palestiniens sont facturés au prix de l’eau potable pour leur eau
agricole, et non les colons juifs ; les Palestiniens doivent obtenir une
autorisation spéciale pour creuser tout nouveau puit des autorités militaires
israéliennes ; les puits palestiniens mesurent 70 m en moyenne, contre 350 m
pour les puits des colons. De même, les terres dont l’autonomie, totale ou
partielle, est reconnue aujourd’hui par le gouvernement israélien au titre des
accords d’Oslo, sont en général situées sur les hauteurs calcaires de la
montagne cisjordanienne, où la difficulté d’accès à l’eau nécessite de creuser
de profonds puits pour atteindre la nappe phréatique. Inversement, la bande de
20 km que le gouvernement israélien envisage d’annexer occupe l’ensemble des
basses terres de la vallée du Jourdain. La perception aiguë du besoin en eau
pour la sécurité d’Israël a conduit l’État hébreu à envisager d’exploiter les
eaux du Litani ; on le sait de par la déclaration de M. Weizmann, cité
ci-dessus ; on a pu l’observer à travers le comportement de l’armée israélienne
au Liban, occupé à la suite de la guerre de 1982 contre l’OLP et la Syrie. Les
autorités israéliennes ont interdit aux agriculteurs libanais de construire de
nouveaux puits ; la région de Château Beaufort, lieu où Israël peut détourner
facilement des eaux du Litani, est zone militaire interdite. Si le gouvernement
israélien n’a pas encore donné son feu vert pour cette opération, c’est parce
que la sécurité d’Israël en eau n’est pas compromise au point que la
réalisation d’un aqueduc en provenance du Litani compense l’échec certain des
négociations de paix que cette décision entraînerait.
Le Nil est également au cœur d’un grave conflit sur le
partage de ses eaux. Puissance dominante du bassin du fleuve, l’Égypte a signé
des accords avec ses voisins du sud pour lui garantir l’essentiel du flux d’eau
: 95 % de l’eau égyptienne provient de l’extérieur de ses frontières.
Avec une démographie galopante et une surface agricole
utile très réduite, l’Égypte a montré des signes très nets d’agressivité dès
que le Soudan ou l’Éthiopie, que drainent les affluents du Nil, ont laissé
paraître une volonté d’exploitation de leurs ressources en eau. En 1979, le
président Sadate a affirmé que le « le seul facteur qui pourrait déclencher
l’entrée en guerre de l’Égypte est l’eau », tandis que le ministre des Affaires
étrangères égyptien, M. Boutros Boutros-Ghali a, par une petite phrase
désormais célèbre, résumé clairement la position de son pays en 1987, en
soulignant que « la prochaine guerre dans la région [serait] sur les eaux du
Nil ». Le traité de 1959 entre l’Égypte et le Soudan, signé peu après une
période de quasi conflit armé, régit le partage des eaux du Nil entre les deux
pays et attribue 55,5 milliards m³ par an à l’Égypte et 18,5 milliards m³ au
Soudan. Mais l’Éthiopie, confrontée à la nécessité de la reconstruction de son
économie après la guerre civile et à une augmentation très rapide de sa
population, qui devrait passer de 54 millions d’habitants en 1992 à 94 millions
en 2010, rejette les clauses du traité égypto-soudanais dont elle n’est pas
partie prenante. Les plans de développement économique de l’Éthiopie prévoient
la construction de près de 36 barrages, ce qui inquiète considérablement Le
Caire, puisque le Nil bleu, qui draine le territoire éthiopien, représente 80 %
du débit total du Nil. Les relations avec Addis Abeba se sont rapidement
détériorées lorsqu’il est apparu que l’Éthiopie entendait aller de l’avant avec
son programme de mise en valeur du Nil bleu, et notamment lorsqu’un projet
d’irrigation important, « Tana Beles », destiné à bonifier les terres
du Ouollo et du Tigré, fut connu du Caire en 1987.
Si la Syrie a été la première à vouloir contrôler le
débit de l’Euphrate pour mieux en exploiter les eaux, construisant en 1974 un
barrage à Tabqa qui failli être l’objet d’un conflit avec l’Irak, la Turquie
aménage, depuis 1980, de nombreux barrages et ouvrages de dérivation sur les
cours de l’Euphrate et du Tigre qui traversent l’Anatolie, dans le cadre du
projet GAP - Guneydogou Anadolou Projesi, lequel
prévoit sept projets sur l’Euphrate et six sur le Tigre, pour un total de 21
barrages. En janvier 1990, le plus gros ouvrage, le barrage Atatürk, a été
achevé. Or, si Ankara réalisait la totalité des prélèvements et des retenues
qu’elle projette de faire, le débit de l’Euphrate restant à la disposition de
la Syrie serait vraisemblablement réduit de 30 à 40 %, et, après le passage de
la Syrie, le débit restant à l’Irak ne serait plus qu’un quart de ce qu’il est
en ce moment. La Syrie serait alors confrontée à un grave problème, puisque sa
politique de développement agricole suppose de porter sa surface irriguée de
863 000 ha à 1,4 millions en 2010, objectif que le débit prévu de l’Euphrate
rend pratiquement impossible à atteindre. Confrontée à une baisse trop radicale
du débit de l’Euphrate, Damas serait tentée d’augmenter ses prélèvements dans
le Yarmouk, ce qui déclencherait une vive réaction de la Jordanie et d’Israël.
En 1990, la Syrie et la Turquie ont menacé d’en venir aux armes pour régler
leur profond différend. De même, l’Irak serait confronté à une situation
agricole très difficile si la Turquie menait à bien l’ensemble de ses projets :
avec le débit de l’Euphrate à sa sortie de Syrie réduit des trois-quarts, le
pays ne pourrait alimenter que 37 % des surfaces irriguées en 1990.
En Asie centrale, c’est l’eau qui, de plus en plus,
sera au cœur des différends entre les pays de la région. Avec l’arrêt des
subsides versés par l’ex-Union soviétique, les économies de ces pays demeurent
très fragiles et dépendantes de leurs exportations. Or, les républiques d’Asie
centrale, en particulier l’Ouzbékistan, avaient largement misé, dans les années
1960, sur la culture du coton, fortement consommatrice d’eau. Ce sont, en
grande partie, les très grandes quantités d’eau nécessaires à l’irrigation de
ces cultures industrielles qui seraient à l’origine de la disparition
progressive de la mer d’Aral. Or, les quantités d’eau, déjà très importantes,
qui sont prélevées pour l’agriculture, ne suffisent plus à maintenir les
rendements actuels : près d’un quart des terres irriguées de l’Ouzbékistan ne
reçoivent plus que 70% de l’eau dont le coton a besoin. Qui plus est, il y a
peu de place pour une amélioration du rendement de cette eau, car la culture du
coton ouzbek est déjà relativement efficace.
La plaine du nord de la Chine est confrontée à un
grave problème de diminution de la ressource en eau. Depuis 1995, la demande à
Pékin est supérieure à la capacité du réseau. De nombreux scientifiques ont
prévenu le gouvernement que, faute d’un système de rationnement mis en place
rapidement, le fleuve Jaune risquait de s’assécher durablement dans les prochaines
années : Dans son cours inférieur, le fleuve était à sec pendant 7 jours sur
150 km en 1980, mais cette période de fort étiage s’est maintenue pendant 53
jours sur 300 km en 1990, pendant 136 jours en 1996 et 226 jours en 1997 sur
700 km, bouleversant les systèmes d’approvisionnement en eau des localités, des
industries et des surfaces agricoles irriguées. Le Yangze, avant même que le
barrage des Trois Gorges ne soit en cours de remplissage, accusait déjà un
déficit en eau de 15 % en 1997. Selon le vice-président du Comité permanent de
l’Assemblée Nationale Populaire, M. Wang Bingqian, la Chine souffrira très
vraisemblablement d’une grave crise de l’eau dans la première moitié du XXI ème
siècle. Le gouvernement a prévu de grands travaux de dérivation en provenance
de la Chine centrale, mais la capacité supplémentaire ainsi fournie ne sera pas
longtemps suffisante face au rythme actuel de l’augmentation de la demande.
Afin de faire face à une grave pénurie qui se dessine, il est vraisemblable que
le gouvernement chinois envisagera des négociations avec la Mongolie et la
Russie pour obtenir des transferts durables d’eau, mais il n’est pas certain,
compte tenu des rapports ambigus entre la Chine et les autorités russes dès que
des questions territoriales sont abordées, que Pékin obtienne gain de cause
rapidement.
12.3-
à l’intérieur des états aussi:
En Californie, la demande en augmentation constante se
heurte à la difficulté croissante de maintenir l’approvisionnement à son niveau
actuel. L’eau des fleuves (Colorado, San Joaquin, Owens) est en grande partie
pompée, ce qui contribue à l’assèchement du Colorado qui n’est plus qu’un mince
filet d’eau lorsqu’il franchit la frontière mexicaine, une situation au cœur
d’un litige entre les États-Unis et le Mexique. Les nappes phréatiques sont
surexploitées. Contribuant à compliquer la question, des héritages historiques
font que certaines régions de l’État, comme la vallée Impériale, à l’est de San
Diego, disposent de larges quantités d’eau, tandis que d’autres doivent imposer
des rationnements périodiques. Bien que l’agriculture contribue à hauteur de
10% du produit intérieur brut de la Californie, le secteur consomme plus de 80
% de l’eau de l’État tout en étant facturé moins cher du mètre cube que les
consommateurs urbains, mais les agriculteurs se sont organisés en solide groupe
de pression pour maintenir leurs droits d’accès à la ressource. La réaction
initiale des autorités californiennes a été de pomper davantage d’eau dans le
Colorado, ce qui a fortement déplu aux autorités de l’Arizona, et de détourner
quelques rivières des montagnes du Nevada voisin. Devant l’ampleur que prenait
la dispute entre États, d’une part, et d’autre part au sein même de la
Californie (citadins de Los Angeles et de San Diego, agriculteurs, industriels,
écologistes), en décembre 1997, le secrétaire d’État à l’Intérieur, Bruce Babbitt,
a intimé aux autorités californiennes de se limiter aux 5,74 milliards de m³
que l’Etat est autorisé à pomper dans le Colorado annuellement en vertu de
l’accord sur le bassin du Colorado de 1922, au lieu des 6,78 milliards qui
étaient effectivement prélevés. M. Babbitt autorisait, le même jour, les ventes
d’eau entre États, autorisant ainsi l’Arizona à transférer de l’eau au Nevada,
une mesure qui a rendu furieux le gouvernement californien, qui y voit la
preuve que l’Arizona disposait de l’eau dont il avait besoin.
13 -
Paramètre de la géopolitique locale:
Pour autant que puissent être pressants les besoins en
eau des pays impliqués dans des litiges sur le partage de l’eau, qu’il s’agisse
d’arbitrage sur la répartition entre groupes d’utilisateurs dans des pays
occidentaux, d’irrigation pour mettre en valeur de nouvelles terres et nourrir
une population en rapide augmentation, ou de mise en valeur d’un potentiel
énergétique, c’est tout un éventail de réactions possibles qui caractérise ces
situations de litige sur l’eau, qui vont des relations harmonieuses à la guerre
ouverte, en passant par le recours à des mécanismes institutionnels, informels,
par la tension interétatique, l’action diplomatique, le litige ouvert et le
conflit armé.
De même, il est difficile d’établir une règle générale
sur l’évolution des conflits au sein des groupes d’Etats riverains. Ainsi,
l’Égypte, pays en aval, a-t-elle pu, jusqu’à présent, faire prévaloir ses vues
sur le partage du Nil, bien que sa situation géographique la rende plus
vulnérable, quitte à menacer ses voisins d’intervention militaire, comme contre
l’Éthiopie en 1978, ou contre le Soudan en 1995; à l’inverse, la Turquie a vu
sa prééminence militaire sur la Syrie et l’Irak renforcée par sa position
d’amont sur le Tigre et l’Euphrate. Ces divers degrés dans le conflit soulignent
deux éléments importants : tout d’abord, une crise, aussi aiguë soit-elle, dans
le partage de l’eau, ne débouche pas nécessairement sur un conflit. Ensuite,
l’eau n’est jamais un facteur unique dans le développement d’une situation
conflictuelle : rivalités anciennes, objectifs politiques et stratégiques,
querelles nationalistes, perception plus ou moins légitime du degré de la
menace participent à la naissance et au développement de la tension.
Ainsi, il est évident que la querelle opposant l’Inde
et le Pakistan, à la fin des années 1950, sur le partage des eaux de l’Indus, a
été considérablement attisée par la rivalité qui opposait les deux États. De
même, la décision égyptienne de construire le barrage d’Assouan, qui a
contribué à aviver la tension entre Le Caire et Khartoum à la fin des années
1950, correspondait-elle à la volonté d’asseoir une prééminence régionale qui
s’est également traduite par les projets de République Arabe Unie et par
l’intervention égyptienne au Yémen. Inversement, la position éthiopienne est
d’autant plus ferme qu’Addis Abeba se sent soutenue par Washington et surtout
par Israël, dans le cadre d’une stratégie que l’Egypte perçoit comme visant à
la contenir en soutenant ses adversaires régionaux. L’Égypte a conçu de nombreux
projets d’intervention militaire contre l’Éthiopie (plan AIDA) ou contre le
Soudan (plan Crocodile). Inquiète des projets soudanais et éthiopiens, l’Égypte
a envisagé de développer le reste de son territoire en exploitant les nappes
phréatiques fossiles du sous-sol, ce qui l’a amenée à s’opposer au projet de
Grand Fleuve artificiel de la Libye, qui pompe les eaux des mêmes nappes, un
contentieux avivé par les mauvaises relations entre Le Caire et Tripoli.
Dépendante à 97 % du débit du Nil en provenance des pays en amont, l’Égypte
fait graviter sa politique actuelle de sécurité autour d’un approvisionnement
sûr en eau du Nil. Dans le cadre de sa perception aiguë de sa dépendance des
flux du Nil, l’Égypte suit avec inquiétude l’évolution des conflits chez son voisin
soudanais, avec lequel elle entretient de très mauvaises relations, au point de
menacer directement Khartoum d’un conflit armé en 1995, mais chez qui elle ne
voudrait surtout pas voir les rebelles sudistes, appuyés par l’Érythrée
et l’Éthiopie, prendre le pouvoir et risquer de faire sécession, créant un
autre État sur le Nil dont la politique serait favorable aux intérêts de
l’Éthiopie. L’Armée populaire de Libération du Soudan (APLS), ravitaillée
directement par Addis Abeba et par Asmara jusqu’à récemment, menace le barrage
de Roseires, sur le Nil bleu, lequel fournit 80 % de l’électricité de Khartoum.
Qui plus est, l’Éthiopie et l’Érythrée sont soutenues par Israël. Dans cette
optique, le conflit frontalier qui oppose Érythrée et Éthiopie depuis mai 1998
tombe à un moment opportun dans la stratégie égyptienne de contrer ce que Le
Caire percevait de plus en plus comme une menace sur le Nil.
Le projet de développement anatolien du GAP est un
outil certes économique, mais aussi manifestement géopolitique : tout en
fournissant à Ankara les moyens de mieux mettre en valeur une partie
stratégique, mais quelque peu négligée économiquement, de son territoire, il
lui permet de mieux le contrôler en sapant la guérilla kurde grâce au décollage
économique du Kurdistan, retombée principale escomptée de ces investissements
très lourds que le pays assume sans financement de la Banque Mondiale, faute
d’entente ni même de réelle volonté de concertation avec les pays voisins. La
Turquie poursuit également l’objectif d’établir sa prééminence sur ses deux
rivaux syrien et irakien par le biais de sa mainmise sur l’essentiel de leurs
ressources en eau, et ainsi de se poser comme la puissance régionale militaire
et économique majeure, autour de laquelle graviteraient les républiques
ex-soviétiques du Caucase. Les questions intérieures et internationales sont
liées, puisque le seul engagement que la Turquie ait bien voulu reconnaître,
soit garantir un débit minimal de l’Euphrate de 500 m³ par seconde, impose à la
Syrie de ne plus accueillir les rebelles kurdes sur son territoire. La Turquie
pourrait même accroître sa prééminence en menant à bien son projet d’aqueduc
destiné à exporter de l’eau en Arabie Saoudite et en Israël. Ce projet, appelé
« pipeline de la paix », conçu en 1986, aviverait certainement les querelles
avec la Syrie et l’Irak si la Turquie allait de l’avant avec la vente d’eau de
son plateau anatolien qu’elle dénie à ses deux voisins arabes.
Alors que les Américains promettaient dans les années
1960 de verser des sommes considérables pour acheter l’eau des rivières du nord
des Prairies canadiennes (Manitoba, Saskatchewan, Alberta), le gouvernement
canadien, appuyé par son opinion publique, a délibérément préféré rejeter ce
projet, réapparu lors des négociations sur le traité de libre-échange de 1988,
à cause du trop grand déséquilibre perçu qui caractérise les relations entre
Canada et États-Unis. En 1995, le gouvernement de la province de
Colombie-Britannique a dû recourir à une loi spéciale pour interdire par anticipation
toute vente de droit sur des cours d’eau, pour tenter de mettre fin aux
pressions de divers groupes américains l’incitant à exporter de l’eau vers le
sud. Le différend qui oppose Hongrie et Slovaquie sur le projet de barrage de
Gabcikovo est devenu une cause nationale : la crispation du gouvernement de
Bratislava sur cette question trouve son origine dans les mauvaises relations
qu’il entretient avec Budapest au sujet de la minorité hongroise de Slovaquie,
d’une part, et dans les balbutiements du processus de construction d’une
identité nationale slovaque, encore à la recherche de symboles rassembleurs,
d’autre part : de fait, « en construisant le barrage, les Slovaques
réaliseraient, enfin, la grande entreprise nationale de l’avenir » ; quiconque
s’y oppose, et notamment les Hongrois, est contre la nation slovaque. C’est cet
investissement identitaire sur ce projet de construction national qui conduit
au raidissement de la partie slovaque.
La question de l’eau est de plus en plus envisagée
sous l’angle de possibles conflits que pourrait déclencher son inégale
répartition entre des pays dont les besoins augmentent très vite. Alors qu’il
ne faut pas négliger le potentiel qui demeure pour la négociation et la
coopération régionale dans la gestion de ces questions, il n’en demeure pas
moins que même les résultats positifs, comme le traité israélo-jordanien de
1994, ne pérennisent pas une harmonie précaire du fait des équilibres
démographiques changeants et des évolutions socio-économiques, mais aussi géophysiques,
les nappes phréatiques n’étant pas inépuisables.
Il apparaît que la rareté de l’eau ne débouche pas
automatiquement sur un litige, même si les relations parfois cordiales ne sont
pas nécessairement indice d’une coopération destinée à satisfaire les deux
parties, en témoigne le refus du Canada de céder aux demandes américaines de
cession de droits d’approvisionnement dans les rivières canadiennes du bassin
de la baie d’Hudson ou de Colombie-Britannique. La question de l’eau peut être
un élément majeur d’une crispation régionale, comme dans le cas de la question
du Nil, mais souvent elle se s’ajoute à d’autres litiges, territoriaux,
socio-économiques ou politiques, qu’elle vient exacerber. Ainsi, dans le
conflit israélo-arabe, l’eau est-elle le pendant très logique de la question de
la répartition des terres et de la pérennité des économies qu’elles supportent
; entre Équateur et Pérou, le conflit armé de 1995 n’est que l’avatar récent
d’un litige frontalier ancien, et dont la crise précédente remontait au conflit
de 1941 ; même dans le cas de l’Égypte et du Nil, la volonté de prééminence
régionale, et donc les objectifs géopolitiques du Caire, ne sont pas étrangers
au conflit.
Les tensions produites par la rareté localisée de
l’eau se multiplieront, et les gouvernements des pays concernés seront
confrontés à des alternatives difficiles. Mais, comme pour la plupart des
conflits portant sur des ressources, les crises futures sur l’eau ne se
multiplieront pas, suscitées par ce seul facteur de crise : l’eau, ou
plutôt son difficile partage, pour crucial qu’il soit, n’en sera que l’un des
éléments.
Devant ce constat alarmant, maintenir le mutisme sur
la question de l’eau et se contenter du statu quo actuel conduira
inexorablement vers un désastre à l’échelle planétaire. Hormis les problèmes
liés à son partage, l’eau est devenue, à l’instar de toutes les ressources
naturelles, un bien économique plus cher que l’or et qui suscite de plus en
plus l’intérêt du privé.
II - L'EAU
FACE A LA MONDIALISATION:
L’or bleu est devenu un bien
économique convoité par les grands groupes privés qui ne ménagent aucun effort
pour s’approprier une affaire lucrative en s’appuyant sur les
accords du commerce mondial dans un cadre de globalisation.
Cependant, si l’eau n’a pas encore de valeur marchande à l’instar de l’or noir
c’est qu’elle est aussi un bien de l’humanité autour duquel des sociétés, des
cultures et des civilisations ont été érigées et pour lequel les ONG
(organisations non gouvernementales), les populations et les gouvernements,
quoique impuissants financièrement, tentent de trouver une parade pour sa
préservation.
21 -
Un bien économique:
« Or bleu
», « pétrole du XXIème siècle » : les termes utilisés pour qualifier l'eau
donnent bien la mesure du chemin parcouru depuis la première conférence
internationale sur l'eau de Mar del Plata (Argentine) en 1977. L'eau, bien
naturel et public, à laquelle il s'agissait alors de reconnaître à tous le «
droit » d'accéder pour ses besoins essentiels, a acquis depuis, aux yeux de la
communauté internationale, une dimension économique qui, depuis la conférence
de Dublin en 1992, a nettement été affirmée. Sa raréfaction lui a
progressivement ôté son caractère de bien public discrétionnaire.
C'est lors
de cette même conférence, que la communauté internationale a défini pour la
première fois l'eau comme « bien économique », lui reconnaissant, à travers ce
principe, une valeur marchande. Un postulat que certains libéraux ont, depuis
lors, prolongé jusqu'à penser qu'il serait possible de fixer un prix mondial de
l'eau, fonction de l'offre et de la demande, et reflet de la valeur de ce bien
économique.
Aux enjeux
financiers que posait la raréfaction de cette ressource vitale, on a pensé apporter
une réponse classique : celle du marché, les Etats, indigents et inefficaces,
devant passer la main à la manne salvatrice des capitaux privés. Cette logique
est parfois allée très loin, comme en Angleterre et au pays de Galles, jusqu'à
la privatisation généralisée des services d'eau (captage, traitement,
transport, distribution).
Cette
politique est en cohérence avec la déréglementation et la privatisation, en
cours de généralisation rapide dans le monde, des services publics de base que
sont le gaz, l'électricité, les télécommunications, les transports urbains...
L'eau est la dernière frontière dans le processus de privatisation à travers le
monde.
Néanmoins,
malgré tout, l'eau n'a pas de valeur commerciale intrinsèque: il n'y a pour
ainsi dire pas de marché de l'eau en tant qu'échange de biens, au sens où il
existe un marché des matières premières, mais seulement un marché des services
liés à sa mise à disposition. « En tant que ressource, l'eau n'est pas un bien
économique. Mais il faut la conduire jusqu'aux consommateurs, et ce service à
un coût qu'il faut couvrir », explique
Bernard Barraqué du laboratoire Technique, territoires et sociétés du CNRS,
mettant en avant la valeur d'usage de l'eau. « Le véritable enjeu économique de l'eau porte sur le
coût des infrastructures. Ce qui coûte cher ce n'est pas tant l'exploitation
que les réseaux de distribution et d'assainissement, lesquels représentent des
investissements très lourds qui s'amortissent sur des décennies ».
Si les
multinationales ne l’entendent pas de cette oreille c’est que les dispositions
de réglementation actuelles leurs attribuent un droit supranational qui leur
confère la possibilité de contrôler cette ressource et donc d’en fixer les prix
dont ils estiment qu’ils conviendrait aux sommes colossales des investissements
consentis.
22 -
Les dessous d'un accord:
Le nouveau
manifeste du capitalisme mondial s’est concrétisé à travers les droits
imprescriptibles du plus fort - ici, les sociétés transnationales - et les
obligations draconiennes imposées aux peuples. En effet les multinationales
confortées par l’accord multilatéral sur les investissements (AMI) sont en
droit de prétendre à l’acquisition de tout projet rentable n’importe où dans le
monde ( ou du moins dans les pays signataires) par la bénédiction de
l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE) qui se
vante de défendre la solidité du cadre juridique des échanges. Un tel traité de
commerce autorisant les entreprises multinationales et les investisseurs à
poursuivre directement en justice les gouvernements pour obtenir des dommages
et intérêts en compensation de toute politique ou action publique qui aurait pour
effet de diminuer leurs profits n’est autre que l’expression de la puissance
des oligarchies et la relégation des états au deuxième plan.
L’opinion publique, quoi que n’intervenant qu’en dernier lieu a pourtant son
mot à dire surtout quand il s’agit d’un problème aussi crucial que celui
de l’eau.
S’agissant
de l'accord multilatéral sur l'investissement, le directeur général de
l'Organisation mondiale du commerce (OMC), M. Renato Ruggiero, a assez
justement décrit la nature de cet accord: "Nous écrivons la Constitution
d'une économie mondiale unifiée."
En réalité
l'AMI est en négociation depuis 1995 au sein de l'Organisation de coopération
et de développement économique (OCDE), à Paris. Les 29 pays membres, dont tous
les plus riches du monde, veulent d'abord s'entendre avant de présenter aux
pays en développement un traité à prendre où à laisser. L'objectif de l'accord
est d'étendre le programme de déréglementation systématique de l'OMC aux
quelques secteurs vitaux non encore concernés: la localisation et les
conditions de l'investissement dans l'industrie et les services, les
transactions sur les devises et les autres instruments financiers tels que les
actions et les obligations, la propriété foncière et les ressources naturelles
y compris bien sûr les ressources hydriques. Avec patience et agressivité, ils
ont fait en sorte que les règles générales en la matière satisfassent leurs
intérêts particuliers et assurent l'extension et la consolidation de leur
pouvoir sur les Etats.
Si, comme
la plupart des traités internationaux, l'AMI établit une série de droits et
d'obligations, il se différencie fondamentalement des autres accords: les
droits y sont réservés aux entreprises et investisseurs internationaux, tandis
que les gouvernements assument toutes les obligations.
Le chapitre
clé du traité s'intitule "Droits des investisseurs". Y figure le
droit absolu d'investir ou d’acheter des terrains, des ressources
naturelles, des services de télécommunications des devises ou autres,
dans les conditions de déréglementation prévues par le traité, c'est-à-dire
sans aucune restriction. Les gouvernements, eux, sont dans l'obligation de
garantir la "pleine jouissance" de ces investissements. De nombreuses
clauses prévoient l'indemnisation des investisseurs et des entreprises en cas
d'interventions gouvernementales susceptibles de restreindre leur capacité à
tirer profit de leur investissement. En particulier lorsque celles-ci auraient
un "effet équivalent" à une "expropriation, même
indirecte". Ainsi, aux termes de l'accord, "la perte d'une
opportunité de profit sur investissement serait un type de préjudice suffisant
pour donner droit à indemnisation de l'investisseur".
Les règles
relatives aux "expropriation et indemnisation" sont les dispositions
les plus dangereuses de l'AMI. Elles donnent à chaque entreprise ou
investisseur étranger le droit de contester à peu près n'importe quelle
politique ou action gouvernementale, des mesures fiscales aux dispositions en
matière d'environnement, de la législation du travail aux règles de protection
du consommateur, comme autant de menaces potentielles sur les profits. Ainsi,
alors que les Etats pratiquent partout des coupes claires dans les programmes
sociaux, il leur est demandé d'approuver un programme mondial d'assistance aux firmes
transnationales.
Les règles
du traitement national concernent également les privatisations. Ainsi, si une
municipalité française décide de privatiser le service de l'eau, ce que la
plupart ont d'ailleurs déjà fait, les postulants du monde entier doivent se
voir offrir les mêmes conditions d'accès qu'un investisseur français.
La
menace pèse sur la législation de certains pays du Sud visant à promouvoir un
développement économique national, par exemple en exigeant des investisseurs
étrangers un partenariat avec les entreprises locales ou le recrutement et la
formation de cadres nationaux.
Enfin,
l'AMI va transformer l'exercice du pouvoir partout dans le monde en soumettant
aux directives des multinationales un grand nombre de fonctions actuellement
exercées par les Etats, y compris l'application des traités internationaux.
L'accord donnera en effet aux entreprises et investisseurs privés les mêmes
droits et le même statut que les gouvernements nationaux pour faire appliquer
ses clauses. En particulier celui de poursuivre les gouvernements devant les
tribunaux de leur choix. Parmi ceux-ci figure le jury arbitral de la Chambre de
commerce internationale! Devant des arbitres aussi partiaux, les investisseurs
sont assurés d'obtenir les indemnités compensatoires réclamées pour ne pas
avoir tiré tous les profits escomptés du traité.
L'eau en
vrac aurait été classée comme bien négociable, selon l'O.M.C. et l'Accord de
libre-échange nord-américain (Alena). Toute entreprise canadienne, américaine
ou mexicaine aurait pu s'en prévaloir pour exiger de « vendre » de l'eau
canadienne ou pour réclamer des compensations financières si on lui refusait ce
droit. Déjà, une société californienne, Sun Belt Water, a engagé une procédure
de ce genre pour obtenir 14 milliards de dollars canadiens (plus de 10
milliards d'euros) de dommages et intérêts pour refus d'exporter de l'eau de
Colombie-Britannique vers le sud des Etats-Unis.
23 -
L'or bleu fait l'exception:
La thèse
selon laquelle seul le marché serait en mesure de garantir la "paix de
l'eau" et d'assurer un équilibre efficace grâce au "juste prix"
entre une offre d'eau de bonne qualité (de plus en plus rare) et une demande
sans cesse croissante, a fait de nombreux adeptes au cours de ces dernières années.
Et pas seulement chez les néolibéraux enclins à privatiser tout ce qui
est privatisable. Pourtant, les leçons que l'on peut tirer des privatisations
réalisées, notamment au Royaume-Uni et en France, devraient inciter à la plus
grande méfiance. Le prix de l'eau a, en effet, augmenté de 55 % entre 1990 et
1994 au Royaume-Uni, sans que, pour autant, les investissements des compagnies
privées aient crû dans les mêmes proportions. Résultat: ces sociétés ont dégagé
d'énormes marges bénéficiaires, permettant le versement de rétributions et de
dividendes somptueux aux dirigeants et aux actionnaires, alors que les pannes
ont considérablement augmenté. Au Maroc, l’état commence à se désengager en
cédant l’exploitation des réseaux de distribution de l’eau potable de
Casablanca et de Rabat respectivement à la LYDEC (une filiale de la lyonnaise
des eaux) et à la REDAL (société dont le capital est en majorité
portugais) ; Le prix du m3 a connu une légère augmentation essentiellement
due aux travaux d’assainissement entrepris, ce qui n’a pas empêché les
quelques contestations de la part des ménages survenues essentiellement à
Témara et à Mohamadia. Au Canada, c’est pratiquement le contraire qui se
produit. En effet, les Québécois ont réussi à imposer un changement de cap aux
dirigeants de la province. Le gouvernement de M. Lucien Bouchard, initialement
favorable à la privatisation, a dû, en effet, réaffirmer que "l'eau est un
bien public qui doit demeurer sous contrôle public ". Un acte encourageant
pour tous ceux qui considèrent l'eau comme un bien patrimonial planétaire.
Parmi ceux-ci, les membres du Groupe de Lisbonne, qui veulent créer un
mouvement international d'opinion en faveur de l'élaboration et de la mise en
oeuvre d'un contrat mondial de l'eau. Un tel contrat partirait du principe que
l'accès à l'eau potable, bien commun de l'humanité, constitue un droit
économique et social fondamental de toute personne, en même temps qu'un droit
collectif de toute communauté humaine.
Apparaissant souvent comme une dépossession radicale du pouvoir de la
collectivité au bénéfice du marché, la formule, dans sa forme extrême, n'a
guère fait d'émules. Et là où elle s'est imposée, ses travers commencent à se
faire criants et à susciter de vives inquiétudes chez les consommateurs, autrefois
simples contribuables, devenus clients. Nombreux pays dont notamment, Le
Brésil, l'Inde voient se multiplier des mouvements de paysans qui craignent que
les intérêts privés leur confisquent l'accès à ce qui est pour eux source de
vie et de travail. Ailleurs, jusque dans les pays développés, des voix
s'élèvent pour freiner sa diffusion. A Montréal, dix mille personnes descendues
dans la rue ont obligé les autorités québécoises à geler les plans de
privatisation d'eau de la ville.
Force est de constater qu’à travers les premières privatisations de l’or
bleu et les réactions qu’elles ont suscitées, l’idée d’un marché mondial
régulateur n’est pas encore mûre car difficilement acceptable.
Enfin
l’eau, bien qu’elle soit convoitée par les multinationales, n’a pas encore de
valeur marchande à l’instar de l’or noir car elle est aussi un bien de
l’humanité autour duquel des sociétés, des cultures et des civilisations ont
été érigées et pour lequel les ONG (organisations non gouvernementales), les populations
et les gouvernements tentent de trouver une parade pour sa préservation.
Néanmoins, au stade actuel des choses, c’est à une situation de crise que doit
s’attendre la communauté internationale dans les prochaines décennies. Dès à
présent, un certain nombre de précautions s’impose en vue de prévenir
l’irréparable.
III
- PRÉÉMINENCE ET NÉCESSITÉ D'UN CONSENSUS SUR L'EAU:
La question de l’eau interpelle
l’humanité et à fortiori les pays du nord qui considèrent cette ressource comme
acquise; la timidité avec laquelle est traité ce problème n’est guère
réjouissante et n’augure d’aucun espoir pour l’avenir de la planète; seul un
consensus régional, voire mondial impartial impliquant public et privé peut
préserver un certain équilibre durable et assurer une bonne gestion du
potentiel hydrique.
31
- Consensus public-privé:
La World
Water Vision, présentée en mars à la conférence de La Haye par le Conseil
mondial de l'eau, chiffre les investissements au niveau mondial, pour les 25
prochaines années, à 4 500 milliards de dollars, soit en moyenne 180 milliards
de dollars par an. Face à de tels besoins et à l'incapacité des Etats, en
particulier ceux des pays en développement, à y répondre, le Conseil préconise
d'attirer l'investissement privé et de fixer l'eau à son coût réel, à la fois
pour dissuader les gaspillages et couvrir totalement le coût des
investissements, au moins en ce qui concerne les villes et l'industrie.
Une
approche qui se heurte au principe du droit fondamental d'accès à l'eau, pour
tous et sans disparité financière. Mr Riccardo Petrella, conseiller à la commission
européenne et professeur à l'université catholique de Louvain relève
que « L'eau, source de vie, ne peut être considérée comme une marchandise. Ce
n'est pas parce qu'un service a un coût que cela doit se traduire par un prix
de marché ».
Si ce
passage de la notion de contribuable à celle de consommateur, devenu client, a
déjà du mal à passer dans l'opinion publique dans les pays développés, l'idée
de tarifer l'eau à son coût marchand se heurte à la réalité des pays du Sud,
incapables de financer les importants investissements à réaliser, avec une
population qui n'a ni l'habitude ni les moyens de payer ce type de services.
Les grandes compagnies privées ont un discours rôdé sur le sujet: il serait
vain de tenter d'obtenir des profits importants dans l'exercice d'une activité
destinée à commercialiser un bien indispensable à la vie, assurent-elles. « Nous
sommes plutôt "jugés" sur le rapport qualité coût du service rendu,
et sur les moyens par lesquels nous associons la population pour définir avec
elle des solutions appropriées », dit Charles-Louis de Maud'Huy,
chargé de mission chez Vivendi Water.
Reste que
les opérateurs privés n'iront pas investir à fonds perdus. « Plus
l'agglomération est pauvre, plus le coût des investissements est élevé du fait
de la prime de risque », ne cache pas le même Charles-Louis de
Maud'Huy. Et son homologue de la Lyonnaise d'appuyer : « On
ne peut gérer des systèmes durables que s'ils s'inscrivent dans des contextes
sains. »
Dans ce
secteur très capitalistique où les équipements s'amortissent en trente ou
quarante ans,« le problème majeur du financement des infrastructures
dans l'eau est avant tout un problème de garanties. Les ressources existent, la
difficulté, c'est de pouvoir les mobiliser », affirme Guy Leclerc,
directeur du département Développement durable de PriceWaterHouseCoopers, qui
en appelle à la mise en place d'une structure financière internationale.
32
- Un droit international flou:
De ce tour
d’horizon de quelques cas de conflits portant sur le partage de la ressource en
eau, il ressort que c’est à une très grande diversité, tant des acteurs que des
situations, que l’on a affaire. Cette diversité fait qu’il est difficile
d’élaborer un mécanisme général de résolution de ce type de dispute, et ce
d’autant plus que le droit international est, à ce sujet, flou et peu homogène.
En effet, lorsque les États-Unis, à la fin du XIX ème siècle, entamèrent la
mise en valeur agricole du sud-ouest, ils commencèrent à dériver le cours du
Colorado afin d’irriguer les terres mises en culture. En 1895, le Mexique
protesta officiellement, rappelant que les droits d’usage des agriculteurs
mexicains en aval étaient beaucoup plus anciens que ceux des américains. Le
gouvernement américain conçu alors la doctrine Harmon, du nom du juge Judson
Harmon, chargé d’élaborer la position officielle des États-Unis, et selon
laquelle « le principe fondamental du droit international est la souveraineté
absolue de chaque État, par opposition à tous les autres, sur son territoire ».
Cette doctrine de la souveraineté absolue sur le territoire et ses ressources
est encore invoquée de nos jours par la Turquie et le Tadjikistan notamment, ce
dernier envisageant même de facturer son voisin en aval, l’Ouzbékistan, pour
l’eau du Syr Daria et de l’Amou Daria qui traversent son territoire.
D’un strict
point de vue juridique, une approche légale pour élaborer d’éventuelles
solutions aux conflits hydropolitiques est davantage remise en cause par les
positions changeantes des États. Ainsi, en 1959-60, lors d’une autre dispute,
avec le Canada cette fois-ci, portant sur le fleuve Columbia, les États-Unis
prirent-ils une attitude diamétralement opposée. Soucieux d’exploiter le
potentiel hydroélectrique de la rivière Kootenay au Montana, le gouvernement américain
proposa au Canada une indemnité pour l’inondation de son territoire
qu’occasionnerait la construction du barrage Libby, mais aucune part de la
production électrique engendrée par la mise en service éventuelle de la
centrale attenante. Le Canada menaça alors de dériver un débit important de la
Kootenay vers le Fraser, en territoire canadien. Contestant alors le projet
canadien, les États-Unis invoquèrent alors la doctrine de « première
appropriation », soit la doctrine invoquée par le Mexique lors du différend sur
le Colorado, et que l’Égypte invoque de nos jours pour justifier son droit
d’intervenir dans les politiques de développement des pays situés en amont.
D’autres
corps de doctrine existent et tentent de définir les droits qui régissent
l’usage des cours d’eau. Il ressort que ces doctrines favorisent souvent le
pays concepteur de chaque théorie, comme l’Égypte qui préfère la doctrine de
l’intégrité territoriale, selon laquelle le pays d’aval a un droit
imprescriptible à un débit fixe.
Des travaux
de nombreuses commissions juridiques, comme l’Institut de Droit International,
l’Association de Droit International, ou la Commission de Droit international
des Nations Unies, émerge la notion d’« usage et de répartition équitable »,
invoquée lors de la publication des Règles d’Helsinki sur l’utilisation des
cours d’eau internationaux par l’Association de Droit International en 1966,
notion reprise en 1991 par la Commission dans son projet de Loi sur les
Utilisations des Cours d’eau internationaux à d’autres fins que la navigation.
Mais, outre que la notion de répartition équitable, dans l’éventualité où cette
notion aurait force de loi internationale, est elle-même sujette à
interprétation et à négociations, elle implique, poussée à son extrême, des
changements radicaux dans les économies des États riverains d’un même fleuve.
Ainsi, le commentaire général de l’Association de Droit International sur les
Règles d’Helsinki prévoit-il qu’un « usage présent et raisonnable peut être
reconnu dans une certaine mesure », mais que son poids relatif dans la balance
de l’usage équitable peut être dépassé par d’autres facteurs comme «
l’existence de productions agricoles alternatives, l’emploi d’un mécanisme
d’utilisation archaïque et source de gaspillage et son possible remplacement
par des méthodes moins gaspilleuses dans la limite des capacités financières du
pays.... ». Dans cette optique, la Turquie, qui envisage de mettre en valeur
son potentiel hydroélectrique en Anatolie après que l’Irak et la Syrie aient
commencé à exploiter l’eau du Tigre et de l’Euphrate à des fins agricoles,
pourrait demander que ceux-ci modifient leurs techniques d’irrigation afin de
permettre à Ankara d’avoir un juste accès aux ressources potentielles du bassin
de ces deux fleuves. On comprend bien, dès lors, que ces résolutions, bien que
présentes dans le texte final de la Loi sur les Utilisations des Cours
d’eau internationaux à d’autres fins que la navigation votée par
l’assemblée générale des Nations Unies le 21 mai 1997, aient peu de chance
d’aboutir à la ratification d’une Loi générale des usages des cours d’eau qui
satisfasse tant les pays en amont que ceux en aval : trop de doctrines opposées
ont déjà été élaborées, et trop d’incertitudes demeurent quant à la définition
exacte de la notion d’usage équitable et aux concessions mutuelles qu’elle
implique. Parmi les 3 pays qui ont voté contre le projet figurent deux
puissances incontournables pour la résolution des conflits sur le partage de
l’eau : la Turquie et la Chine.
33
- Mesures d'urgence:
Si tout le monde est unanime, à l’exception
bien sûr des groupes privés, sur la place privilégiée de l’eau, laquelle doit
être nettement différenciée des autres produits et services, il est
temps de prendre des mesures concrètes susceptibles d’apaiser le stress
hydrique qui empoisonne déjà la vie de 1.4 milliards d’âmes.
Une
réorientation de la politique économique mondiale, la consolidation des efforts
des organismes gouvernementaux et des ONG et une sensibilisation à l’échelle
mondiale sont autant de nécessités à même de prévenir les conséquences d’un
manque aigu d’une ressource aussi vitale que l’eau.
33.1- Sensibilisation:
Une journée mondiale pour l’eau sur les 365 jours
que compte l’année est désormais insuffisante pour mener des larges compagnes
de sensibilisation. Néanmoins, ces forums ont le mérite de mettre en place une
commission mondiale sur l’eau pour le XXI ème siècle, le IIème symposium de
l’Unesco sur les eaux transfrontalières, un partenariat mondial de l’eau
(global water partnership), un conseil mondial de l’eau et une académie
internationale de l’eau pour ne citer que les plus importantes. Malgré leur
compétence limitée, ces différentes commissions sont chargées de faire des
bilans et d’élaborer des plans de sauvegarde qui tendent vers la préservation
d’une ressource qui peut signifier tout sauf l’économie.
33.2- Réorientation et investissement:
La solution
consiste en la réorientation de la politique économique mondiale en
privilégiant les secteurs qui menacent directement l’environnement de
l’humanité. Cette vision appelle une économie multidimensionnelle, dynamique et
coévolutive avec le monde dans lequel elle s'inscrit, servante des hommes et
non pas maîtresse de leur destin.
Une
économie multidimensionnelle par la prise en compte des environnements
socioculturel et naturel sur lesquels elle est ouverte et qu'en même temps elle
porte en elle: d'une part, elle ne se reproduit et ne se développe que par
cette ouverture sur des milieux extérieurs où elle trouve ses ressources et un
réceptacle pour ses déchets; d'autre part, tout phénomène économique,
appartenant en même temps aux sphères sociale et naturelle, en possède les
dimensions et se trouve soumis à leurs lois. Interdépendante de ces sphères,
l'économie ne saurait enfreindre leurs modes de régulation sans compromettre sa
propre pérennité.
Il faut
inverser les choix d'investissements. En particulier, cesser de consacrer des
dizaines de milliards de dollars par an à la conception, à la construction et
au fonctionnement d' "autoroutes" nationales et mondiales de
l'information et de la communication qui visent uniquement à satisfaire les
appétits de puissance ou de profits des grandes organisations militaires,
policières, scientifiques, industrielles et financières du monde, américaines
en premier lieu. Avec une partie de ces sommes, disons quelques milliards de
dollars chaque année pendant un peu plus d'une décennie, ces 1,4 milliard de
personnes pourraient progressivement être dotées des 2,5 à 3 milliards de
robinets d'eau dont elles ont un besoin immédiat.
Une autre
tendance ayant déjà donné des résultats encourageant au Moyen Orient mérite une
vulgarisation par une politique de réduction des coûts. Il s’agit du
dessalement de l’eau de mer. La France se présente, du moins pour les pays
africains francophones, comme partenaire privilégié puisqu’elle fait déjà
partie des pionniers dans le domaine de la construction des usines, les leaders
étant les Américains et les Britanniques. Le seul frein qui existe actuellement
n’est autre que les moyens financiers car, Mais même s’ils ont tendance à
baisser, les coûts restent prohibitifs, soit en moyenne 3 à 4 fois plus coûteux
en investissement que l’approvisionnement en ressources naturelles. A
titre d’exemple, les pays du Golfe ont déjà dépensé plus de 100 milliards de
dollars pour la construction et l’entretien d’usines de dessalement. Né dans
les années 50, le marché du dessalement a connu son essor dans les pays du
Golfe ou les îles Caraïbes par exemple.
Les
capacités de dessalement installées ont augmenté de 800 000 m3/jour en moyenne
par an au cours de ces vingt dernières années. De 18 millions de m3/jour en
1993, la capacité mondiale installée devrait atteindre plus de 25 millions de
m3/jour en 2004. L’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes unis, le Koweit, la
Libye et Bahrein totalisent environ les 2/3 des capacités installées. Le marché
des pays du Golfe, même s’il s’est ralenti, demeure de loin le plus important.
Mais le Sud-Est asiatique manifeste un intérêt grandissant, surtout pour des
besoins industriels.
Le Maroc,
pays au long littoral, accuse ses dernières années un manque chronique en
ressources hydriques suite aux précédentes années de sécheresse et au phénomène
de désertification galopant. Il figure d’ailleurs parmi les pays les plus
touchés. Malgré une politique de barrage entamée un peu plus tôt par feu SM
Hassan II, le pays n’arrive plus à concrétiser l’irrigation du million
d’hectares de terre initialement prévu. Pire encore, certaines grandes villes
du royaume connaissent des pénuries d’eau potable pendant la saison d’été. Une
première station de dessalement de l’eau de mer installée à TAN-TAN en
appellera certainement une autre.
Pour
prévenir les conflits, d’autres solutions moins onéreuses doivent être
envisagées pour lutter contre le gaspillage, notamment pour l’irrigation ou le
recyclage des eaux usées.
CONCLUSION:
En somme, la raréfaction de l’eau, son inégale
répartition et une demande mondiale de plus en plus croissante ont fait de
cette ressource vitale un enjeu stratégique de taille. Cependant, bien qu’elle
soit un bien économique convoitée par les grandes multinationales à
l’instar de l’or noir, il n’en demeure pas moins qu’elle est aussi un bien
vital de l’humanité. Les premières tentatives d’un marché mondial régulateur
s’estompent au fur et à mesure que le monde prend conscience des enjeux économiques
qu’il suscite et des conséquences désastreuses qu’il engendre sur tous les
plans. Cependant, si la tendance actuelle penche vers le sens d’une sauvegarde
et d’une réglementation, il est temps de prendre concrètement les mesures
nécessaires susceptibles d’apaiser les tensions actuelles, satisfaire le besoin
immédiat de plus du quart de la population mondiale et de prévenir les
conséquences d’une dégradation soutenue d’une ressource vitale.
En refusant dernièrement la ratification du traité de Kyoto sur la diminution
des gaz à effet de serre, les Etats Unis, pour soit disant des considérations
économiques, ont montré une fois de plus leur désintérêt quant aux questions de
l’environnement et à l’équilibre de la biosphère dont l’eau se trouve au centre.
Cependant la volonté d’un seul Etat aussi puissant soit-t-il résistera-t-elle
aux pressions du reste du monde qui n’aspirent qu’à un certain équilibre
mondial?
Merci mamène !
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